Des linteaux parlants insolites

Monogramme IHS
(trois lettres grecques entrelacées)

                          

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       Pierre centrale du linteau de la cheminée Delpy dit "le piqueur"
                                 

Cette maison du XVIe s. a été détruite en 1958 pour créer une place devant l'église. La famille a conservé cette pierre en souvenir. Dans cet écusson sculpté soutenu par deux lions figure le monogramme du Christ qui a été répandu au XVe siècle. A Gignac et Saint-Bonnet on le retrouve sur de nombreux linteaux de porches, portes ou cheminées. Celui-ci est particulier parce que le S surmonté d'une croix a été inversé par le sculpteur. Il aurait dû être présenté ainsi :
                                        

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Photo de la pierre retournée avec un logiciel photo (retournement horizontal)
                                    

Le chrisme d'origine paléochrétienne présentait les deux lettres grecques Χ et Ρ entrelacées (chi et rho, les deux premières lettres du mot grec Χριστός  (prononcer Christos).

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Mais très vite on a utilisé les 3 premières lettres du mot grec IHΣOYΣ (prononcer : Iésous). Et en latin on a retranscrit le éta (lettre grecque majuscule H) en lettre latine H et le sigma Σ en S (mauvaise translittération du mot grec). Ce sont ces trois lettres entrelacées qu'on retrouve si souvent à Gignac dans les maisons construites au XVIe siècle. Le monogramme devient donc IHS interprété librement comme étant l'abréviation de l'expression latine : Iesus Hominum Salvator (= Jésus sauveur des hommes).
Sur certains linteaux les trois lettres sont simplement juxtaposées comme ici :

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Linteau de cheminée dans une maison du bourg (1662)

                             

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DATES
en chiffres arabes, en chiffres romains, un mélange des deux,
mais aussi référence à des calendriers différents...

Depuis le XVIIe siècle il est d'usage d'inscrire les dates de construction d'une maison sur les linteaux de porche, porte d'entrée ou cheminée. Ce sont le plus souvent des dates écrites avec les chiffres arabes, mais quelquefois on voit des dates écrites en chiffres romains.

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Linteau dans le bourg de Gignac (1825)

Quelquefois chiffres arabes et chiffres romains sont mélangés comme ici (1811) à Saint-Bonnet :

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Mais comment lire l'inscription qui figure sur ce linteau ?

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Linteau de la maison Delpy en ruines, au-dessus de la station d'assainissement
(à la sortie du bourg,route de Cressensac)

La réponse à cette question : L ['an] 11 [de la République] = 1802/1803

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Apparemment ce serait le seul exemple d'utilisation du calendrier républicain sur le territoire communal.
   

Le calendrier républicain, ou calendrier révolutionnaire français, est un calendrier créé pendant la Révolution française et utilisé de 1792 à 1806, ainsi que brièvement durant la Commune de Paris. Il entre en vigueur le 15 vendémiaire an II (6 octobre 1793), mais débute le 1er vendémiaire an I (22 septembre 1792), lendemain de la proclamation de l'abolition de la monarchie et de la naissance de la République, déclaré premier jour de l'« ère des Français ».

Comme le système métrique, mis en chantier dès 1790, ce calendrier marque la volonté des révolutionnaires d'adopter en remplacement du calendrier grégorien un système universel s’appuyant sur le système décimal, qui ne soit plus lié à la monarchie ou au christianisme.

Exemple de linteau qui affiche son attachement à la monarchie (avec la représentation du lys) et à la religion (une croix à droite) :

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    Date inconnue (après 1738 ?)

                

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Des signes d’origine Celte

 
On sait que les habitudes dites païennes, mais d'origine celte, existaient encore à Gignac au début du XVIIIe siècle : les dolmens situés entre Gignac et Nadaillac étaient encore à cette époque-là l'objet d'un culte, on y déposait des fleurs et on les oignait d'huile à certaines époques de l'année. Il  n'est donc pas surprenant de retrouver, gravés sur les linteaux, des signes liés à la civilisation Celte.

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Linteau de la porte d'entrée de l'église de Saint-Bonnet
                    

Le portail Ouest de cette église est le fruit d'un remaniement, avec remontage de claveaux en remploi, dans une façade qui a été largement reconstruite après la guerre de Cent Ans. Ce linteau est rongé par les ans, mais on peut y déceler une série de trois roues solaires dont la plus lisible est celle de gauche. Elle comporte deux cercles extérieurs, un point central entouré d'un petit cercle et 5 rayons dont quatre sont encore bien visibles (le 6e a complètement disparu).

                         

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La roue solaire et le gui, en général représenté sous la forme épurée d'une virgule ou d'une larme, étaient deux symboles forts de cette civilisation. Ils ont été repris par les religions chrétiennes parce qu'ils étaient inscrits dans la protohistoire locale, et ils ont existé bien au-delà de leur signification consciente : beaucoup de maçons du 19ème siècle les ont gravés en ignorant tout de leur véritable sens. Ces signes sont devenus au cours des siècles de véritables symboles non décryptés par les habitants eux-mêmes : ils étaient ainsi auréolés d'une part de mystère.

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Rameaux de gui (noter la forme étonnante de l'avant dernier chiffre de la date)

    
A l'origine, 3 ou 4 virgules disposées en croix représentaient un soleil tournant, le fameux svastika. La représentation solaire se retrouve aussi sous la forme d'une spirale, d'une roue ou d'une marguerite. La roue solaire était un accessoire du dieu celte Taranis, le dieu du ciel, qui lançait cette roue de feu, c'est-à-dire la foudre, pour produire la pluie et fertiliser le sol.
                        

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Fronton hémisphérique et ailerons de lucarne en réemploi dans une construction plus récente.
Le décor sculpté associe des roues solaires de différents types :
spirales dextrogyres, spirales sinistrogyres,
demi-roue solaire sur le linteau lui-même.

                   

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Sur un socle de calvaire à Teyssilhac

                             

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Un signe magique n’était pas nécessairement gravé sur le linteau de la porte d’entrée. Ainsi on trouve, gravé sur une pierre située à droite de la porte d’entrée, à hauteur d’homme, dans la partie la plus ancienne de la maison Chazal de La Blénie (milieu XVIe siècle), ce qui semble être une roue solaire. Le même signe est repris deux fois dans le pisé, face à la porte d’entrée.

                             

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Laïcisation des signes
au moment de la séparation de l’Église et de l’État

                              

A Gignac, la cellule du Parti Radical-Socialiste était particulièrement active au début du XXème siècle et ses membres s'opposaient avec la plus extrême vigueur aux curés des deux paroisses que comptait la commune. Rien d'étonnant de voir des linteaux de maisons construites à cette époque sans référence religieuse. Bien au contraire, on affirme parfois clairement sa sensibilité politique. Apparaissent alors des inscriptions comme RF pour République Française ou la représentation de Marianne/Cérès.

Marianne apparut pour la première fois lors de la Révolution Française en 1792, mais ses origines sont bien plus lointaines. Son ancêtre : Cérès, déesse romaine des moissons qui a été choisie pour illustrer le premier timbre-poste français (1849).

    

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Sur le fronton de cette lucarne, tête de Marianne (Cérès) de profil dans un cercle.
Deux étoiles à 5 branches  insérées dans un cercle encadrent celle qui représente la République (1904).

                        

Ce bas-relief a été réalisé à partir d'un timbre-poste ou plus probablement d'une pièce de monnaie représentant Cérès

                   

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        Premier timbre-poste (1849)   

                                   

En 1871 la Commune de Paris remet à l’honneur la combattante révolutionnaire au bonnet phrygien. En 1897 le portrait de Marianne est définitivement restauré sur les pièces de monnaie.

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Remarquer sur cette pièce de monnaie (1886) les 2 étoiles à 5 branches qui encadrent la date.
On retrouve ces deux étoiles sur le fronton de cette fenêtre de toit.

   
              

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La similitude est frappante

                  

Sur le linteau de la porte d'entrée, au-dessous de la fenêtre de toit, un cartouche avec une inscription détaillée.

  

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Dans ce cartouche figure la mention :
" Maison fondée par Pierre Paillet en 1904
au nom de la République Française"

  
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Linteau de grange laïcisé :
dans le cartouche figurent les initiales RF pour République Française (1907).

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Pour aller plus loin

     
Dans le Quercy Recherche n° 115, une étude des linteaux de portes de Gignac (numéro disponible à la bibliothèque)

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Date de création : 20/04/2021 11:25
Catégorie : Curiosités architecturales -

Réactions à cet article

Réaction n°1 

par Claude_Pestourie_ le 26/04/2021 19:34

Quel travail de recherche et surtout quelle passion pour l’histoire de notre commune. 

Bravo et merci à vous