Madagascar

Madagascar

Dans la toponymie locale il est un nom de lieu qui ne passe pas inaperçu : Madagascar (près de Sireyjol). De création récente (XIXe siècle), il a remplacé le toponyme traditionnel issu de la langue d'oc. Pourquoi ce nom est-il apparu dans un endroit très reculé de la commune de Gignac ?
Les anciens ne sont plus là pour nous dire la raison pour laquelle l'habitant de cette maison a été appelé "Madagascar", un sobriquet lié au service militaire obligatoire.  Mais on a une esquisse d'explication avec une histoire locale liée au tirage au sort du XIXe siècle et à l'envoi dans les nouvelles colonies, Madagascar, Afrique noire, Nouvelle Calédonie, Algérie, ..., des nouveaux conscrits.
Cette histoire savoureuse est, bien entendu, en occitan. La voici telle qu'on me l'a racontée. A la suite du texte en langue d'oc (avec orthographe restituée) on trouvera la traduction, une traduction qui perd une bonne partie de ce qui fait le charme et la saveur du texte original : difficile de respecter la rythmique, les jeux sur les sons et les mots. Souvent même un mot occitan n'a pas son équivalent en français. Je rappelle que la langue d'oc a un vocabulaire très riche, beaucoup plus riche que celui de la langue française.
 
Le dictionnaire d'occitan usuel comporte environ 60 000 mots,
mais on a recensé 450 000 mots .

 
Le magazine Géo affirme que la littérature anglo-américaine peut être traduite plus facilement en occitan qu’en français, à l’exception des termes modernes technologiques que l’occitan, comme les autres langues, a intégrés.
Le lexique est parfois très prolifique, en particulier dans la description de la nature et de la vie rurale. Il existe ainsi 128 synonymes pour signifier l'idée d'une terre cultivée, 62 pour marécages, 75 pour désigner l'éclair.Cette richesse s'explique par le fait que l'occitan est composé de multiples dialectes, dont chacun possède son lexique propre, faisant partie intégrante de la langue. De plus l'occitan n'a pas connu d'épuration, contrairement au français qui a été amputé de ses formes dialectales par l'Académie française aux XVIIe et XVIIIe siècle.

Aviá vint ans passats tot justa. Lo factor me portet un pauc de papieto. Qu’es que dins nostre temps sabiàm pas legir.Vau trobar mossur nostre maira que me dissét :
- Oc, Baptistou, te caudrà venir lo dijòs de l’autre setmana a la sala de mereriá del canton e te farem subir lo sort.
Quand aquel dijòs fuguet vengut, me lavèri coma cal, las mans e la figura, e me penchenèri. Que faguèri ben, que quand entrèri dins aquela sala, i aviá mossur nostre maira, lo prefect, lo jos-prefect, lo deputat, lo senator, e tot un tas d’òmes abilhats de blu que me diguèren apres que qu’eran deus gendarmas.
- Baptistou ! que me fagueren.
- Present, mossur.
Anedonc me fagueren saussar la man dins un pauc de biaça. E n’en sortéri un petit carrat d’estòfa.
- Baptistou !
- Présent, mossur !
- Avetz lo numerò onze !
- Botam zo, mossur, botam zo. Mas que voletz que quò me fasse !
Se passet benleu sieis mes, e te reçebi un autre papieto. E coma lo prumier còp torni trobar mossur nostre maira que me diguet :
- Baptistou, quò es per passar lo conselh de revision.
- Lo conselh de revision ? Grand Diu, e qu’es aquò ?
- Oc, te caudrà venir lo dijòs de l’autre setmana a la sala de merariá del canton, e te farem passar lo conselh de revision.
Quand aquel dijòs fuguet vengut, braves gents, faguèri coma lo prumier còp. Me lavèri coma cal la figura, las mans. Me penchenèri et per un còp me lavèri los pès. E que faguèri ben, que dins la sala i aviá coma lo prumier còp lo prefect, lo jos-prefect, lo deputat, lo senator, e tot un tas d’aquels òmes abilhats de blu, que qu’eran deus gendermas.E dins lo mitan aqui i aviá un tas d’òmes tots nuds, mas nuds coma deus vedels sus la fiera.
- Baptistou ! que me fagueren.
- Present, mossur !
- Déshabillez-vous !
- E mas li pensatz pas, mossur !
Ma paubra maire que me disiá totjorn :
- Baptistou, braja te ! Fase pas veire ton pauc de misera !
- Baptistou, pour la seconde fois, déshabillez-vous !
- E , mas, mossur, barratz solament aquela bela porta que si madama la prefecta veniá…
- Baptistou, pour la troisième fois, déshabillez-vous !
E paubre monde, quand pausèri la camisa, tot me tramblava. Quò es quand vòugueren me mesurar quò es aqui que quò fasiá brave. Me ratatinavi, me ratatinavi… Anedonc un d’aqueus òmes abillats de blu me passet son baston blanc sus lo ventre. N’en faguèri un bond al risca de tot lor esbolhar.
- Espèce de brute ! que me faguèren. Podetz pas far un pauc atencion !
- Botam zo, mossur, botam zo, mas vostre affar aqui quò es freg !
- Baptistou !
- Present, mossur !
- Vous êtes bon pour le service !
- Botam zo, mossur, botam zo, que voletz que quò me fase ?
- Vous pouvez vous habiller !
E, paubre monde, talament m’en cochavi que n’en trobavi pas los botons de la brageta. Mas a qauque temps d’aqui comprenguèri ço que aquò voliá dire. Portiguèri cinq ans a Madagascar. Paubre monde, li frosavi pas dins aquel país de sauvatges qu’eran tot negres coma lo tiol de l’ola que ma maire botava al fuec tots los jorns.

TRADUCTION

J’avais tout juste vingt ans quand le facteur m’a apporté un bout de papier.
Autrefois nous ne savions pas lire. Je vais trouver Monsieur notre Maire qui me dit :
- Oui, Baptistou, il te faudra venir, le jeudi de l’autre semaine, à la salle de la mairie du canton, et on te fera tirer au sort.
Quand ce jeudi-là est arrivé, je me suis lavé comme il faut les mains et la figure, et je me suis peigné, et j’ai bien fait parce que, quand je suis rentré dans cette salle, il y avait Monsieur notre Maire, le préfet, le sous-préfet, le député, le sénateur, et tout un tas d’hommes habillés de bleu. On m’a dit après que c'étaient des gendarmes.
- Baptistou ! qu’ils m'ont fait.
- Présent, Monsieur !
Alors ils m'ont fait mettre la main dans un petit sac et j'en ai sorti un petit carré d'étoffe.
- Baptistou !
- Présent, monsieur !
- Vous avez le numéro 11.
- Soit, monsieur, soit. Mais qu’est ce que vous voulez que cela me fasse ?
Il se passa à peu près six mois, et je reçus un autre bout de papier. Et comme la première fois je reviens trouver monsieur notre maire qui me dit :
- Baptistou, c’est pour passer le conseil de révision.
- Le conseil de révision ? Grand Dieu ! Et qu’est ce que c’est que ça ?
- Oui, il te faudra venir le jeudi de l’autre semaine à la salle de la mairie du canton, et on te fera passer le conseil de révision.
Quand ce jeudi est arrivé, braves gens, j’ai fait comme la première fois, je me suis lavé comme il faut, la figure, les mains, je me suis coiffé. Et pour une fois je me suis lavé les pieds. Et j’ai bien fait parce que dans la salle il y avait comme la première fois, le préfet, le sous-préfet, le député, le sénateur, monsieur notre maire, et tout un tas de ces hommes habillés de bleu, c'étaient des gendarmes.
Et au milieu, là, il y avait un tas d’hommes tout nus, mais nus, comme des veaux sur la foire.
- Baptistou ! qu’on m’a fait.
- Présent, monsieur !
- Déshabillez vous !
- Eh bien ! Vous n’y pensez pas, monsieur ?
Ma pauvre mère me disait toujours :
- Baptistou, mets tes culottes, ne fais pas voir ton peu de misère.
- Baptistou, pour la seconde fois, déshabillez-vous !
- Eh ! mais, monsieur, fermez seulement cette grande porte, que si madame la préfète venait…
- Baptistou, pour la troisième fois, déshabillez-vous !
Ah ! Pauvres gens ! Quand j'ai enlevé ma chemise, je tremblais de partout.
Mais quand ils ont voulu me mesurer, alors là ça faisait joli ! Je me ratatinais, je me ratatinais…. A ce moment-là, un de ces hommes habillés de bleu m’a passé son bâton blanc sur le ventre. J’en ai fait un bond au risque de tout leur démolir !
- Espèce de brute ! qu’ils m’ont fait. Tu peux pas faire un peu attention !
- Soit, monsieur, soit, mais votre affaire, là, c'est froid !
- Baptistou !
- Présent, monsieur !
- Vous êtes bon pour le service !
- Soit, monsieur, soit, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
- Vous pouvez vous habiller.
Eh ! pauvre monde, je voulais faire tellement vite que je n'en trouvais pas les boutons de la braguette.

Mais quelque temps plus tard je compris ce que cela voulait dire. Je suis parti cinq ans à Madagascar. Pauvre monde, j’étais pas à l’aise dans ce pays où les gens étaient tout noirs comme le cul de la marmite que ma mère mettait sur le feu tous les jours.


Date de création : 18/07/2020 09:42
Catégorie : Gignac terre d'oc -

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